"Il
faudrait trente mots pour dire la rouille, mais ils n'existent pas, il
faudrait les créer et surtout les employer, alors on apprivoiserait
l'oxydation du fer et on lui trouverait de la beauté, du confort, on la
trouverait accueillante et vivante, cette rouille qui érode ce qui a été
droit, ce qui était bien huilé au moment du travail, et qui maintenant,
parce que ça ne bouge plus, par ce que ça ne sert plus à rien, se
dissout au contact de l'air en prenant un aspect de velours, d'une belle
couleur de feuilles mortes. Nous sommes dans le sous-bois
d'automne de l'industrie finissante, ce que nous avons construit
s'effondre, et de cette litière de rouille sortira notre avenir après
l'hiver qui vient; du moins on l'espère. Mais pour cela faut-il encore
aimer notre rouille, et si on disposait de ces trente mots qui la
décrivent, toute la friche industrielle de Walenhammes deviendrait un
salon ouaté, tendu de couleur chaude, d'un beau velours fauve où l'on
viendrait s'asseoir, pour passer agréablement le temps, pour attendre."
Alexis Jenni, "La nuit de Walenhammes, NRF
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